Jane Eyre de Charlotte Brontë

J'ai terminé l'ouvrage Jane Eyre de Charlotte Brontë et je voudrais discuter de points que j'ai trouvés intéressants dans le roman.

Comme je l'ai fait précédemment pour Le Loup des Mers ou 100 ans de solitude, je ne ferai ni résumé ni analyse classique — tout cela est trouvable sur Internet. Donc, attention aux spoilers : je discuterai de certains passages qui m'ont intéressé et je partagerai mon retour.

Ce livre est un classique de la littérature anglaise, et il y a une raison à cela. Les personnages sont riches et complexes, et l'intrigue est captivante.

Jane Eyre est écrit par une femme, Charlotte Brontë. Le roman est rédigé à la première personne — on suit donc l'histoire d'une femme écrite par une femme —, ce qui est exceptionnellement rare en temps normal alors encore plus pour l'époque. L'œuvre a été publiée au milieu du XIXe siècle, il y a environ 200 ans. Bien que deux siècles nous séparent de l’époque de Brontë et que nos sociétés semblent très différentes, le caractère des femmes, leurs idées et leurs fantasmes restent les mêmes qu’aujourd’hui.

L'histoire est un mélange de Cinquante Nuances de Grey et de La Belle et la Bête. C'est l'histoire d'une femme pas très belle (point important, c'est souligné à plusieurs reprises) qui va finir par se taper le riche aristocrate qui ne travaille pas (comme dans Cinquante Nuances de Grey). D'ailleurs, c'est le seul riche du roman qui ne travaille pas. Les autres ont des métiers : patron d'usine, médecin, avocat, etc. Dans les œuvres de Charles Dickens, écrites à la même période et dans le même pays, tous les riches ont des professions : banquier, avocat, etc. Et les moins riches également : ouvrier, tailleur, employé de bureau, etc.

C'est donc bien consciemment que Brontë a créé un personnage qui ne travaille pas. Car un riche qui travaille énormément (comme la plupart des riches) n'a pas le temps de séduire et de s'occuper de sa femme. La seule différence avec Cinquante Nuances de Grey est l'absence de scènes de sexe dans l'œuvre — cela n'était pas permis dans les romans de l'époque.

Il est amusant de constater que les fantasmes féminins d'il y a deux cents ans étaient les mêmes qu’aujourd’hui. La femme ordinaire attirée par l'homme extrêmement riche, puissant et populaire. Rochester est un aristocrate, il occupe une place élevée dans la société, ce n'est pas un simple riche anonyme. Il est également fou amoureux et obsédé par Jane — le stéréotype même du fantasme féminin.

C'est aussi un mélange avec La Belle et la Bête, car Mr Rochester vit seul et isolé dans son château. Il n'est pas très beau, mais il reste très charismatique et possède une force et une puissance intérieure extraordinaires — son côté "bestial" et "viril". Il est aussi très possessif et jaloux — Jane adore cela, tout en en ayant peur.

Je trouve fascinant que, deux cents ans plus tôt, les fantasmes étaient identiques. Les époques passent, mais la nature humaine ne change pas. Nous le verrons plus loin avec les comportements féminins que l'on considère comme "nouveaux" — ils existaient depuis toujours.

Ce qui m'a impressionné

Jane Eyre fait preuve d'énormément de courage et de résilience, en particulier pour une femme et dès son plus jeune âge. C'est inspirant.

La mort de Helen Burns

Lors de sa période à l'orphelinat, Jane se lie d'amitié avec une autre jeune fille, Helen. C'est très touchant, elle se fait enfin une amie après une enfance difficile. Une épidémie de typhus survient dans l'école et beaucoup de jeunes filles meurent. Helen est touchée par la maladie et est mise à l'écart.

Jane part retrouver son amie malade. Elle s'endort avec elle dans son lit en la prenant dans ses bras. Elle est retrouvée le lendemain matin par la directrice dans le lit, encore endormie, avec dans ses bras sa copine; sauf que celle-ci est décédée pendant la nuit. Ce passage est très émouvant — j'ai trouvé la dureté de la vie frappante.

La difficulté dans la vie des femmes

Un point qui m'a marqué, la vie d'une femme devait être bien difficile à cette époque. Jane Eyre, ainsi que les autres femmes, cherchent à s'élever dans la société. Ce sont des lectrices assidues en quête d'érudition — mais surtout, elles pratiquent plusieurs arts : le chant, le piano, la peinture, le dessin et la couture. C'est quelque chose de totalement perdu chez les femmes aujourd'hui — et même presque aussi chez les hommes.

Sa relation avec Mr Rochester

Dès que Jane Eyre arrive au manoir de Thornfield, elle est immédiatement attirée par le charme d'Édouard Rochester. C'est à partir de ce moment dans le roman que l'on peut observer l'avalanche de stéréotypes féminins.

La phase de séduction

Mr Rochester est au début très distant, il ne porte aucun intérêt à Jane Eyre — et elle adore ça ! Ça la challenge. Il se met ensuite à lui parler froidement, voire méchamment — et une fois de plus, elle adore ça d'avoir un homme qui lui résiste.

Il finit par inviter plusieurs figures éminentes de la haute société anglaise, dont la très belle Mme Ingram, qu’il cherche à séduire dans l’espoir de trouver une épouse. Il demande à Jane d'être présente dans le salon en même temps que les invités mais continue de l'ignorer tout en draguant Mme Ingram. C'est sadique et humiliant pour Jane — mais elle adore ça, elle devient extrêmement jalouse.

Rochester drague la belle aristocrate Ingram mais finit par se taper la moche domestique. C'est du scénario à la Cinquante Nuances de Grey.

Le roman étant écrit à la première personne, nous sommes plongés dans les pensées et les sentiments de Jane Eyre.

Ce passage sur la séduction dans le roman est fascinant car il montre le comportement féminin étrange qui nous est si familier à nous les hommes aujourd'hui.

Plus l'homme s'en fout d'elle, plus il lui parle mal, plus il va voir ailleurs, plus elle adore et tombe folle amoureuse de lui. C'est le cliché du "bad boy", de la "toxicité". Ces termes n'existaient pas à l'époque, mais c'est exactement ce même comportement.

On peut s'en plaindre, critiquer, mais le roman montre que ce fantasme existait déjà il y a deux siècles — ce n'est pas nouveau. Cela n'a pas de sens, c'est dénué de toute logique — mais c'est le bad boy, le mec toxique qui la fait kiffer.

Lors de leur discussion en privé, Jane parle aussi très méchamment à Rochester ; elle le critique, lui dit qu'elle le trouve moche. C'est ce que l'on appellerait aujourd'hui du "shit testing". Elle le provoque pour voir comment il réagit. Plus il reste stoïque, mieux c'est ; plus il perd le contrôle, moins le test est réussi. Rochester réagit super bien, il reste stoïque et sûr de lui en continu — il accomplit le test de Jane à merveille.

C'est pour cela que je trouve ce roman passionnant du point de vue d'un homme, il nous montre la psychologie d'une femme d'il y a deux cents ans — nous faisant comprendre que ces comportements que l'on considère tous pénibles sont innés. En tant qu'homme, il faut apprendre à vivre et savoir jouer avec. C'est malheureux mais c'est comme ça.

Le mariage

Une des chapitres les plus intéressants est celui sur la préparation du mariage. Mr Rochester est fou amoureux de Jane, il veut la traiter comme une princesse, lui faire des cadeaux, la faire voyager, etc. Quant à elle, elle a envie de se marier mais veut garder son indépendance. Le chapitre se passe donc sur la négociation au sein du futur couple sur la vie qu'ils mèneront ensemble après le mariage.

Ce qui rend ce chapitre intéressant, c'est qu'une fois de plus on voit la vision et le ressenti de Jane. Elle ne veut faire aucun compromis, mais vraiment aucun. Elle n'en a rien à foutre de ce que ressent Rochester, elle n'a zéro empathie. C'est une femme intelligente mais elle est incapable de se mettre à la place de quelqu'un d'autre. Elle a ses valeurs et il faut faire avec, c'est non négociable.

C'est fascinant, elle est amoureuse de Rochester mais en même temps elle ne le respecte pas et n'en a rien à faire de son avis et de ses émotions. Ça lui passe complètement au-dessus de la tête. Inversement, lui cède à tout — il est fou amoureux de Jane — alors il se plie à tous ses caprices.

Ce qui est frappant dans le texte, c'est que quand Rochester met en avant ses envies, pour Jane c'est de la manipulation. Si le roman avait été écrit à notre époque, elle aurait employé le terme "pervers narcissique". Par contre, quand c'est l'inverse, c'est parce que Jane a des valeurs — ce n'est plus de la manipulation.

L'accent est vraiment mis sur la manipulation dont fait preuve Rochester et l'on ressent même l'excitation que cela procure à Jane.

J'ai trouvé ce passage intéressant car cela montre vraiment l'égocentrisme dont font preuve certaines femmes. C'est très frappant comment d'un côté c'est de la manipulation / je m'en fous de ce qu'il désire, de ses besoins ainsi que de ses sentiments — mais de l'autre côté, moi si je fais pareil, j'ai le droit car j'ai des standards, des valeurs, etc. Lui il en a aussi mais ça ne compte pas. Il y a la bonne et la mauvaise manipulation. Quand c'est les autres ce n'est pas bien, par contre quand c'est moi c'est bien.

Encore un point où l'ego surdimensionné des femmes ne date pas d'aujourd'hui.

L'amour du drama

Le chapitre après l'annulation du mariage est l'un des plus intéressants du point de vue de la psychologie féminine.

En premier lieu, Rochester raconte en détail son histoire — il a eu une vie de solitude et de conquêtes amoureuses ratées. Jane, folle amoureuse, écoute avec attention — on ressent très bien ses sentiments. Elle est à la fois captivée par le récit de Rochester mais ne ressent en même temps aucune émotion. Elle ne fait preuve d'aucune empathie envers lui malgré sa tragique vie — elle reste une femme — et les femmes et l'absence d'empathie, ça ne date pas d'aujourd'hui.

Cela la dégoûte aussi un peu que Rochester soit allé séduire d'autres femmes, mais en même temps elle aime savoir que c'est un séducteur. C'est à double tranchant.

Une fois son histoire racontée, Rochester veut quand même vivre avec Jane sans mariage. Il lui propose de partir dans le sud de la France ou en Italie. De son côté, Jane rêve aussi toujours de faire sa vie avec lui. Elle serait enchantée de partir avec lui — elle reste folle amoureuse. Mais partir de cette façon, s'enfuir avec lui sans être mariée, ça la dérange et est contraire à ses valeurs.

Elle en meurt d'envie de partir avec lui mais "il ne faut pas". Il faut "résister à l'envie". Parce que si elle accepte, tout va bien se passer et il n'y aura plus de problèmes dans sa vie. Mais Jane est une femme — elle aime le drama — elle ne peut pas vivre sans.

Alors, malgré qu'elle meure d'envie de partir aux côtés de Rochester, elle va refuser. Pourquoi ? Pour créer des problèmes. Elle s'enfuit en pleine nuit laissant tout derrière et sans prévenir personne.

Elle en est malheureuse, Rochester aussi — mais elle ne regrette pas, un peu de drama ça fait toujours du bien.

Ce passage m'a particulièrement marqué car cela n'avait aucun intérêt de faire cela. C'est juste créer des problèmes pour rien. C'est vraiment un comportement féminin de chercher les ennuis.

Comme pour les autres comportements vus précédemment, ce n'est pas nouveau — les femmes faisaient pareil il y a deux cents ans. Et une fois de plus l'absence d'empathie pour le pauvre Rochester est toujours frappante du point de vue d'un homme.

La friendzone

Une fois enfuie du manoir de Rochester, Jane se réfugie chez une famille dans une maison isolée. Elle rencontre les deux sœurs Diana et Mary ainsi que leur frère Saint John.

Cette dernière partie de l'histoire est pleine de leçons.

Pensant beaucoup à Rochester et étant en manque d'attention, elle commence à séduire Saint John. Étant écrit à la première personne — on se rend bien compte des actions de Jane. Elle est très gentille et aimable avec Saint John alors que d'habitude elle ne calcule aucun homme.

Jane le drague tout en pensant à Rochester en même temps. Elle fait "semblant" de ne pas se rendre compte que Saint John tombe amoureux d'elle petit à petit. C'est amusant car dans le roman, on saisit très bien ce qu'elle est en train de faire, c'est très prévisible, on se doute de la suite — et pourtant, elle garde une fausse innocence vis-à-vis de ses actes.

Elle le fait galérer comme ça pendant un an, sans jamais oublier Rochester.

Au bout de cet an, Saint John annonce son désir de partir en tant que missionnaire en Inde. Il souhaite que Jane l'accompagne, et pour cela, il faut qu'elle soit sa femme — il la demande en mariage. Elle fait alors semblant d'être surprise alors que cela fait plus d'un an qu'elle le travaille.

Elle refuse de se marier avec lui sans éprouver une fois de plus aucune empathie. Elle lui sort le classique "tu es comme un frère pour moi".

Deux cents ans plus tôt, cette phrase était déjà un classique utilisé par les femmes.

Le pauvre Saint John ne comprend plus rien après s'être fait chauffer pendant un an.

Il pense que Jane aime se faire désirer alors il la laisse réfléchir un peu puis revient à la charge de nouveau.

Jane est épuisée par l'insistance de Saint John, après avoir passé un an dans l'ambiguïté, à chercher l'attention de ce dernier pour compenser l'absence de Rochester. Elle finit par lui dire qu'elle le méprise pour pouvoir être tranquille.

À l'époque il n'y avait aucune insulte, ce n'est pas comme maintenant, le mot "mépriser" est fort. Il n'y a rien de plus percutant.

Puis elle nie l'amour que porte Saint John envers elle — Jane dit qu'il n'est pas amoureux, qu'il se comporte ainsi pour avoir de la compagnie une fois en Inde.

Imaginez la violence verbale de ces propos. Le pauvre Saint John, fou amoureux, est sous le choc, il a du mal à garder ses émotions.

Ce passage m'a ébloui car c'est vraiment de la manipulation dont on a tous été au moins une fois victime dans sa vie en tant qu'homme. Elle le chauffe pour avoir de l'attention, nie les faits quand Saint John lui déclare sa flamme puis, finit par l'insulter une fois qu'elle a obtenu tout ce qu'elle a pu de sa part pour s'en débarrasser définitivement.

Deux cents ans plus tôt, c'était exactement pareil, le terme "friendzone" n'existait pas encore, mais comme pour les termes "pervers narcissique", "bad boy" ou "shit test" dans les chapitres précédents — les femmes se comportaient déjà de cette façon.

Une fois que la situation est définitivement foutue avec Saint John, Jane se remet à penser encore plus à Rochester. Elle abandonne Saint John sans scrupule puis part retrouver Édouard Rochester. Saint John part alors tout seul en Inde.

Elle s'est servie de Saint John comme d'un rebond dans une période de sa vie où elle n'allait pas bien, elle l'a utilisé pour avoir de l'attention et de la tendresse. Une fois que ça allait mieux, elle l'a jeté et s'en est allée retrouver son amant favori.

À la fin du roman, elle termine mariée avec Rochester. Elle a vite oublié Saint John. Et, lorsqu'elle apprend par courrier que celui-ci va bientôt mourir en Inde, elle se sent soulagée. Un fardeau de moins sur ses épaules.

L'égo de Jane

Tout au long des 700 pages du roman, Jane rencontre beaucoup de personnages. C'est intéressant pour deux points.

Le premier, c'est la partie fantasme. Jane n'est pas jolie. Pourtant, elle a séduit 100% des hommes intéressants : Rochester et Saint John. Certes, elle n'a pas rencontré beaucoup de monde, mais ça fait quand même une sacrée belle statistique.

Tous les autres hommes rencontrés, les cochers, aubergistes, jardiniers, etc., n'ont aucune valeur à ses yeux. Donc, cela aurait été un fardeau si l'un d'eux avait été séduit par Jane. Seuls les hommes importants comptent — le reste est insignifiant.

Le second point concerne la partie égocentrique de Jane. L'œuvre est très détaillée, que ce soit sur la description des lieux ou celle des personnages (physique et morale).

Mais tous les personnages n'apportant aucune utilité à Jane sont peu décrits. Elle ne fait aucun effort pour se lier d'amitié avec eux. Une fois qu'ils se séparent, ils sont de suite oubliés. C'est particulièrement troublant avec tous les domestiques qu'elle rencontre. Elle n'en a juste rien à faire d'eux — elle ne parle jamais avec eux, ce sont pourtant ses égaux. Elle porte plus d'attention aux enfants des écoles quand elle est prof, car au moins un enfant, c'est "mignon".

C'est pertinent, car on cerne un personnage très égocentrique qui se sert des autres. Du point de vue de Jane, s'ils n'ont rien à lui apporter, ils ne servent à rien tout court.

Conclusion

J'ai adoré ce roman captivant, dont l'histoire fascinante et bien construite en fait un classique de la littérature, ce que l'on ressent pleinement à la lecture.

D'un point de vue masculin, cette histoire est captivante, car elle révèle que certains comportements féminins, souvent perçus comme modernes, sont en réalité intemporels. Loin d'être causés par des facteurs contemporains comme le féminisme, Internet ou le cinéma, ces attitudes semblent inhérentes et ancrées depuis toujours.

Chaque femme est bien sûr différente et toutes ne possèdent pas ces traits de caractère — mais on a tous vu quelques-uns de ces traits de caractère chez des femmes de notre entourage.

À l'heure où le moindre red flag est éliminatoire, ce roman nous montre la nature humaine et nous offre la perspective qu'il faut apprendre à faire avec. Si ces comportements étaient déjà là il y a deux cents ans, ils seront là aussi après notre mort.

Si vous êtes une femme, vous allez adorer l'œuvre pour son côté "romantique", qui n'est pas du tout romantique puisque c'est l'histoire d'une femme qui joue avec plusieurs hommes. Une sorte de Twilight avant l'heure.

Jane Eyre reste une femme courageuse, inspirante et intelligente. Elle animera en vous beaucoup de réflexions.