Le Loup des Mers de Jack London

J'ai terminé de lire Le Loup des Mers de Jack London. J'ai trouvé l'histoire palpitante mais comme dans chaque roman de Jack London, ce qui m'a marqué c'est la profondeur de ses personnages.

Je ne vais pas parler de l'histoire en elle-même car cela n'aurait aucune plus value car des résumés sont disponibles partout sur Internet.

Je vais seulement développer plusieurs points qui m'ont marqué. J'aime faire cet exercice, car il me permet de revenir sur mes notes quelques années plus tard et de relire ce qui m'avait touché dans les œuvres que j'ai lues. C'est une manière de garder une trace vivante de mes lectures et de voir comment ma perception évolue avec le temps.

Loup Larsen

Loup Larsen est nihiliste. Il a grandi seul, sans parents, dans la misère. Il a construit toute sa misérable vie sans l'aide de personne, parti de rien jusqu'à devenir capitaine de son propre navire. Il s'est éduqué en lisant des livres empruntés et en posant des questions aux marins qui l'entouraient quand il n'était qu'un simple matelot. Mais tous ces efforts l'ont rendu malheureux. Il s'est battu toute sa vie et cela n'a pas payé. La dure loi de la vie. On peut tout faire bien, mais ça ne paie pas toujours.

Une phrase m'a profondément marqué lorsqu'il se compare à son frère aussi cruel que lui: "Ma seule erreur fut d'avoir ouvert un livre". Son frère, contrairement à lui, ne l'a jamais fait. Il n'a jamais réfléchi, ne s'est jamais posé de questions sur le sens de la vie. Il est heureux car il ne connaît que cela, la violence et la misère. Loup Larsen a essayé de s'élever de cette vie sans succès. Il en est misérable.

Malgré sa brutalité tout au long du roman, j'étais étonné qu'il fasse preuve de sensibilité par moments. Il reste humain et ce n'est qu'une carapace qu'il a développée autour de lui.

Leach et Johnson

Leach et Johnson, deux membres d'équipage, ont fait preuve d'honnêteté et de bravoure malgré leur triste condition de vie comme tous les autres marins.

Ils ne se sont pas laissés briser par Loup Larsen et se sont battus pour ce qui est bon et juste. Ils ont fait preuve de courage et de noblesse en se battant à plusieurs reprises contre le violent Loup Larsen. Bagarres qui les ont approchés à plusieurs reprises de la mort.

En tentant de fuir le navire à bord d'un canot, ils se sont retrouvés pris dans une tempête. Loup Larsen a joué avec eux avec une cruauté implacable, les laissant croire qu'il allait les secourir, avant de se détourner à chaque fois, les condamnant à espérer en vain. Épuisés d'avoir ramé des heures durant, brisés par le froid et le désespoir, leur embarcation a fini par chavirer. Ils sont morts noyés, dans la souffrance et l'abandon.

J'ai trouvé ça intéressant car cela fait réfléchir sur notre comportement. Fallait-il vraiment se battre coûte que coûte si c'est pour mourir dans ces circonstances sans n'avoir réussi à changer quoi que ce soit ?

N'auraient-ils pas dû "fermer leurs gueules", rembarrer leur dignité et rester en vie en attendant d'avoir une occasion d'avoir un impact positif sur le monde ?

Ils sont morts cruellement sans avoir eu aucun impact.

La mort omniprésente

Il y a de nombreux morts tout au long du roman. Elle est omniprésente dans la vie de marin.

Chaque décès est vite oublié. Le lendemain, c'est comme si la personne n'avait jamais existé. Tout le monde est passé à autre chose. C'est tragique.

Je pense en particulier au marin Johansen qui meurt en passant de l'autre côté du pont. On ne connait d'ailleurs pas vraiment la raison de sa mort tellement c'est "courant" dans la vie des marins.

Demain, tu meurs — c'est comme si tu n'avais jamais existé. C'est similaire au roman Cent Ans de Solitude. Les personnes décédées sont oubliées. Si une personne décède sans descendance, sa mémoire ne sera non seulement jamais perpétuée, mais elle sera oubliée le lendemain.

La résistance à la vie

Les personnages se battent jusqu'au bout pour leur survie. Malgré toute la violence subie, malgré leurs conditions de vie désastreuses, personne ne souhaite mourir quand l'heure arrive. Ils se battent coûte que coûte. On pourrait penser qu'après tout ce qu'ils ont vécu, le peu d'espoir d'une vie meilleure — quand la mort arrive ils se laissent aller. Non, ils veulent continuer à se battre. L'humain est fort et déterminé, c'est impressionnant.

L'exemple le plus marquant est celui de Loup Larsen à la fin du roman lorsqu'il est échoué sur l'île. Il sait qu'il n'a aucune façon de s'échapper, que sa maladie le rattrape — il n'arrive plus à voir ni à entendre et la paralysie le gagne. Mais il ne veut pas mourir pour autant et se bat jusqu'au bout.

Lorsque la mort arrive, l'être humain est plus déterminé que jamais. C'est dans ces moments qu'il puise ses dernières forces.

La brutalité et l'ignorance

Après avoir été secouru et recueilli à bord du Fantôme, Hump est immédiatement frappé par la brutalité et le manque d'éducation des marins. Il découvre un univers aux antipodes du sien.

J'ai trouvé cela particulièrement frappant, car, bien souvent, nous évoluons dans un cercle de personnes issues du même milieu que nous, ce qui crée l'illusion que tout le monde pense, vit et ressent les choses de la même manière. Mais lorsqu'on est confronté à d'autres réalités sociales, les différences peuvent être saisissantes.

Issu d'un environnement aisé et intellectuel, Hump se retrouve face à des hommes frustes, peu enclins à la réflexion ou à la subtilité. Mis à part Loup Larsen, aucun ne semble capable d'une pensée profonde ou d'un raisonnement construit.

À l'inverse, Hump va devoir se confronter à une autre forme de richesse: celle de l'effort. Il découvre la valeur du travail physique, de la résistance mentale, et tout ce qu'il faut mobiliser pour survivre dans le monde rude des travailleurs manuels.

Thomas Mugridge

Mugridge est le marin responsable de préparer les repas. Il est décrit comme désagréable et malpropre.

Comme Larsen, il a vécu toute la misère du monde. À un tel point qu'il a engrangé une frustration sans limite et est devenu terriblement jaloux de Hump.

Un passage m'a profondément marqué. Il raconte son parcours à Hump et toute la misère dans laquelle il a grandi. Il se met à déverser sa haine contre Hump car il n'a pas eu la chance comme lui de naître dans une famille aisée.

Comme Loup Larsen, il a fait de son mieux avec les ressources qu'il avait mais cela ne lui a pas suffi pour s'en sortir.

Comme tous les marins, il n'échappe pas à la violence et la cruauté de Larsen. Plongé dans l'eau, il se fait arracher le pied par un requin.

Dans le roman, personne n'est à l'abri d'un accident tragique.

C'est dans l'épreuve que l'homme se révèle

À travers les nombreux obstacles rencontrés à bord du navire, Hump devient un homme. Il découvre même une forme de plaisir dans le dépassement de soi, dans le fait de se confronter à l'adversité. À 35 ans, c'est en relevant ces défis qu'il accède enfin à sa pleine maturité, il devient un Homme.

L'Homme est fait pour se surpasser et il éprouve du plaisir à le faire.

Je l’ai constaté moi-même: les épreuves ne sont jamais agréables à vivre. Elles sont dures, pesantes, parfois décourageantes. Mais une fois qu’on les a surmontés, elles laissent place à un sentiment d’accomplissement profond. Et au fond, c’est cela qui me rend fier et heureux.

L'influence de Maud sur le comportement de Hump

L'arrivée tardive de Maud dans le roman marque une véritable métamorphose chez Hump. Il tombe amoureux, et cet amour ne cesse de grandir avec le temps. Plus ses sentiments s'intensifient, plus il puise en lui une rage de vivre, une volonté farouche de continuer à se battre. Maud décuple tout en lui : sa force, son potentiel, son ingéniosité, son endurance, sa résistance — sur tous les plans, elle l'élève. Grâce à elle, il découvre une version de lui-même qu'il ignorait: son plein potentiel, comme s'il franchissait le cap du super saiyan.

C'est ça, le pouvoir des femmes. Leur don unique: révéler en nous ce que nous avons de plus grand.

L'infuence des femmes sur les hommes

Un autre passage lié aux femmes m'a particulièrement marqué. Hump perçoit la violence brute, la rudesse presque animale des hommes à bord du navire. Et à travers cette observation, il en vient à une évidence : ces hommes ont besoin de la présence des femmes. Parce qu'elles apportent ce que le monde leur a arraché: de la douceur, de l'équilibre. Il comprend alors que l'homme et la femme ne sont pas opposés, mais profondément complémentaires. L'un tempère l'autre, et ensemble, ils forment un tout plus juste, plus humain.

La fin du roman, quelle philosophie fut la bonne ?

D'un côté, il y a Loup Larsen : pour lui, c'est la loi du plus fort qui régit le monde. Cette philosophie lui a plutôt bien réussi; du moins en apparence. Mais elle s'accompagne d'un lourd tribut : une vie de solitude, de méfiance constante, et un combat permanent pour conserver son statut de dominant, de "loup alpha". Avec une telle vision de la vie, on finit toujours par perdre, tôt ou tard — un instant de faiblesse, d'une seule inattention, et tout s'effondre.

À l'opposé, Hump choisit une autre voie, celle du compromis. Il refuse de se battre quand il sait que le combat est perdu d'avance. Il privilégie la prudence, la stratégie. Une discussion particulièrement marquante entre lui et Maud aborde justement ce sujet. Au départ, elle ne comprend pas son raisonnement. Mais en observant le sort tragique de Leach et Johnson, ces marins brisés pour avoir affronté frontalement Larsen; elle finit par saisir la logique de Hump.

Cela dit, Hump n'est pas lâche. Lorsqu'il sent qu'il a une chance de l'emporter, il est prêt à prendre des risques. Sa philosophie est plus nuancée, plus complexe. Certains pourraient y voir de la lâcheté, mais sur le long terme, c'est une stratégie gagnante. Il est le seul survivant du navire. Larsen meurt prisonnier de sa propre idéologie, et tous ceux qui ont voulu se battre à tout prix y ont laissé la vie.

Sur le temps, la philosophie de Hump fut un bien meilleur choix.

Conclusion

J'ai adoré Le Loup des Mers. L'histoire est captivante, mais ce qui m'a le plus marqué, c'est la profondeur de réflexion qu'elle offre sur les individus et leurs philosophies de vie. Chacun peut y puiser des leçons différentes, selon sa propre sensibilité et son regard. C'est, à mes yeux, ce qui distingue les grandes œuvres: elles ne livrent pas un message unique, mais ouvrent un espace où chaque lecteur peut trouver sa propre vérité.