John Barleycorn de Jack London

J'ai terminé de lire le livre John Barleycorn de Jack London. C'est un roman autobiographique axé principalement sur son addiction à l'alcool.

J'adore Jack London, j'ai lu presque tous ses romans ainsi qu'un bon nombre de ses nouvelles. J'ai trouvé très intéressant d'en apprendre plus sur sa vie et son addiction. Je vais vous parler de certains thèmes du roman qui m'ont marqué et que j'ai trouvés intéressants.

Le bénéfice de l'alcool

Jack London commence à consommer de l'alcool car il se rend compte que pour avoir une vie libre et d'aventure, il faut boire de l'alcool. Sinon il est condamné à être plongé dans les livres et lire les aventures des autres plutôt que de vivre les siennes.

Such was my escape from the killing machine-toil, and my introduction to the oyster pirates. True, the introduction had begun with drink, and the life promised to continue with drink. But was I to stay away from it for such reason? Wherever life ran free and great, there men drank. Romance and adventure seemed always to go down the street locked arm in arm with John Barleycorn. To know the two, I must know the third. Or else I must go back to my free-library books and read of the deeds of other men and do no deeds of my own save slave for ten cents an hour at a machine in a cannery. No; I was not to be deterred from this. Jack London

C'est quelque chose que je trouve intéressant car je me suis toujours tenu éloigné de l'alcool pour plusieurs raisons : le coût, la santé, le risque de dépendance et la peur de faire des erreurs sous l'effet de l'alcool. Cent ans plus tard, la vie est bien différente de celle de Jack London, mais je pense que j'ai raté plein d'opportunités dans ma jeunesse à cause du refus de consommer de l'alcool. Ce ne sont pas des aventures du même type, il ne s'agit pas de partir en bateau jusqu'au Japon, mais ce sont sûrement des amitiés, des rencontres et des expériences que je n'ai pas eu l'occasion de vivre. De nos jours, refuser l'alcool, c'est être condamné à rester chez soi à scroller sur les réseaux sociaux ou à regarder des séries. Pas si différent de la vie de Jack London s'il avait refusé de consommer lui aussi.

C'est quelque chose qu'il faut garder en perspective face aux dangers de l'alcool. Comme tout dans la vie, rien n'est forcément blanc ou noir. L'alcool est mauvais pour la santé à haute dose, mais à petite dose, il est bénéfique pour notre santé mentale. Nous avons besoin de relations sociales et d'expériences nouvelles pour vivre une vie pleine et enrichissante. L'alcool y contribue.

Tu deviens bon en pratiquant

Il n'y a pas de secrets : pour s'améliorer, il faut pratiquer encore et encore. C'est valable aussi pour Jack London. Dans son autobiographie, pour percer il a passé des années à écrire et pratiquer. Il a passé sa vie à écrire 1000 mots par jour. À première vue, ça paraît plutôt comme un défi absurde, mais c'est la réalité de la vie. Pour devenir meilleur, il faut s'entraîner et s'entraîner.

And right here let me break in with experiences no later than last year. I harnessed four horses to a light trap, took Charmian along, and drove for three months and a half over the wild-est mountain parts of California and Oregon. Each morning I did my regular day's work of writing fiction. That completed, I drove on through the middle of the day and the afternoon to the next stop. Jack London

Mais en même temps, Jack London ne passait pas ses journées à écrire. Il consacrait ses matinées à écrire et il passait le reste à autre chose. C'est intéressant car je trouve que de nos jours on a tendance à aller "all in" dans une activité. Ce n'est pas comme cela que l'humain fonctionne. La vie n'est pas monotâche — cela serait bien trop monotone de vivre ainsi.

Une activité comme l'écriture demande de la réflexion et de l'imagination. Elle ne se construit pas assis derrière un bureau. De nos jours, les écrivains en herbe passent trop de temps derrière leur bureau. Ce n'est pourtant pas le cas des grands auteurs comme j'en parlerai plus en détail dans un prochain article. Jack London ne passait que ses matinées à écrire. Le reste de ses journées était consacré à pratiquer des activités de plein air : randonnée, équitation, boxe, escrime, voile, surf, natation.

À première vue, cela peut être estimé comme quelque chose de contre-productif, mais c'est ce qui lui a permis de se concentrer sur ses écrits et de produire des œuvres exceptionnelles. Il a su trouver un équilibre entre la réflexion et l'action : ses aventures ont nourri son imagination. Tous les grands auteurs de la littérature fonctionnent de cette façon et c'est toujours d'actualité : Papacito explique régulièrement qu'il trouve son inspiration dans ses longues balades avec son chien.

Un homme brillant

Jack London fait preuve d'adaptation tout au long de sa vie. Un passage marquant fut celui au lycée. Après plusieurs années à travailler en tant que pêcheur, navigateur, et ouvrier, il se rend compte qu'il est impossible de gagner plus tant qu'il ne fait pas d'études — il s'inscrit au lycée avec le peu d'économies qu'il a. Pour se nourrir à côté il essaie de faire des petits boulots, mais il se rend compte qu'il ne pourra pas tenir les 4 ans de lycée avec aussi peu de moyens. Alors pour gagner du temps, il décide de valider le lycée en un seul semestre — pour cela, il travaille 19h par jour pour apprendre toutes les compétences nécessaires. Il se fait convoquer par le proviseur 5 semaines plus tard. Jack London était un jeune homme intelligent et le fait de le voir passer le diplôme en seulement un semestre au lieu de 4 ans nécessaires fait passer le lycée pour une mauvaise école qui n'apprend rien aux élèves et leur fait perdre leur temps. Bien que le proviseur le félicite, il est contraint de le renvoyer, l'acte ayant terni la réputation de l'école. Jack London finit par passer les examens de l'université en candidat libre et les réussit avec succès.

L'importance de la lecture

Jack London était un avide lecteur tout au long de sa vie. Dès sa jeunesse, il allait à la bibliothèque publique emprunter des livres pour les dévorer à la maison. Dès qu'il avait du temps libre, il lisait. Et il a continué à le faire tout au long de sa vie.

Pour devenir un érudit, passez des décennies à lire 30-40 h/semaine. Nassim Taleb

La lecture fournit des connaissances et une profondeur extraordinaires par rapport aux autres médiums. Il n'y a pas de secret, passer plusieurs heures sur un sujet nous offre une perspective exceptionnelle. La majorité de la population ne lit pas. Après des années de lecture, on se retrouve en dissonance avec les autres.

worth-while fun and stunts seemed no longer worth while; and it was a torment to listen to the insipidities and stupidities of women, to the pompous, arrogant sayings of the little half-baked men. It is the penalty one pays for reading the books too much. Jack London

Jack London le note à plusieurs reprises dans le roman. Au fur et à mesure de sa vie, un sentiment de solitude s'installe en lui. C'est un homme extrêmement brillant. Ses aventures uniques, son succès et son érudition l'éloignent du commun des mortels — il se sent déconnecté.

White logic

À la fin du roman, Jack London explique sa conception de la White Logic. C'est un terme qui désigne une vision lucide, désillusionnée et souvent nihiliste de la vie, induite par l'alcoolisme ou l'ivresse. C'est une clarté intellectuelle aiguë, mais teintée de pessimisme et de désespoir. Il voit la vie brute, telle qu'elle est : sans aucun charme ni sens. Jack London ressent que la vie ne mérite pas d'être vécue — qu'il n'y a rien à faire de spécial — on vit pour attendre la mort.

Pour contrecarrer la White Logic, Jack London se donne des objectifs : écrire un article, publier un livre, voyager, etc. Il trouve des "excuses", des "illusions" pour contester ce nihilisme et trouver des raisons de vivre.

J'ai trouvé ces chapitres très percutants car c'est quelque chose que nous ressentons tous également à diverses doses. Pourquoi vivre ? La vie est monotone, travailler ce n'est pas drôle. La vie est vide de sens — que faire ?

Se donner des objectifs, c'est fuir ce nihilisme. Par exemple, l'écriture de cet article en fait partie. C'est une manière de donner du sens à ma vie. Est-ce que c'est utile ? Non, pas forcément, mais cela me challenge l'esprit, me fait porter de nombreuses réflexions sur l'œuvre de Jack London puis sur la vie en général. Je prends plaisir à le faire.

J'ai l'impression que la vie c'est tromper son esprit. C'est lui trouver des challenges et des défis à relever pour éviter la White Logic que l'on appellerait de nos jours la déprime. Sans ambition, sans challenge, la vie n'a plus de sens — on déprime.

Sans objectifs, on n'a plus de raisons de vivre, on perd le moral. Viktor Frankl a écrit le livre "Man's Search for Meaning" à ce sujet. Les prisonniers des camps de concentration qui n'avaient plus d'espoir étaient les premiers à mourir. Au contraire, ceux qui espéraient, qui avaient pour objectif d'être libres un jour et de retrouver leur famille, étaient les plus résilients.

Sa vie : son inspiration pour ses romans

En lisant ce passage sur la White Logic, je me rends compte que son nihilisme a fortement inspiré le personnage de Loup Larsen dans le roman "Le Loup des Mers".

Son roman Martin Eden est également très inspiré de sa vie. Le passage où Martin Eden travaille dans la laverie d'un hôtel et n'a de temps libre que pour une bière le soir est très similaire à la période où il travaille comme ouvrier dans la centrale électrique d'Oakland. C'est un travail épuisant, sans intérêt et sans porte de sortie.

À la fin du roman Martin Eden, quand il se suicide en sautant à l'eau pour se noyer, j'avais trouvé ce passage d'une extrême précision. Jack London arrivait à retranscrire l'atrocité d'une noyade avec précision.

C'est quelque chose qu'il a vécu. Il est tombé à l'eau et s'est fait emporter par le courant. Sous l'effet de l'alcool, une idée obsédante s'empare soudain de lui : celle de se laisser emporter par la marée, de mourir. London, qui n'avait jamais eu de pensées suicidaires auparavant, se trouve soudain convaincu que mourir serait un "splendide aboutissement", un "parfait achèvement" de sa courte mais excitante carrière. Dans son délire alcoolique, il est persuadé d'avoir tout vécu, tout vu, et que la vie ne vaut pas la peine d'être poursuivie.

Cependant, la réalité physique de sa situation le ramène momentanément à la raison. Se rappelant la puissance du courant qui se développe autour de l'île, il décide d'éviter cette zone dangereuse. Il nage alors vigoureusement pour traverser le courant à angle droit, réussissant à éviter l'aspiration mortelle. Après cet effort, il se remet à flotter, alternant entre moments de lucidité et délire alcoolique. Au fil des heures, l'effet de l'alcool diminue. Il réalise alors qu'il ne veut pas mourir et découvre "des dizaines de raisons de vivre". Après quatre heures passées dans l'eau, à l'aube, un bateau apparaît — celui d'un pêcheur : Jack London est sauvé.

Les petites choses qui m'ont marqué

La vie de Jack London fut mouvementée. Il ne faisait pas du métro-boulot-dodo (ou plutôt pour San Francisco tramway-boulot-dodo). Tout au long de sa vie, il a cherché l'aventure — c'est ce qui le faisait vibrer. Comme chaque être humain, il a eu son lot de problèmes. Mais cela ne l'a pas arrêté. À aucun moment il n'a pensé à s'arrêter et vivre une vie classique. À chaque fois qu'un souci se présente, il ne se plaint pas — il évalue les choix qui lui sont possibles et prend la décision la plus appropriée. Voilà la clé de son succès — la vie est faite d'imprévus — il faut se remettre en question et avancer.

Une différence de l'époque est l'absence complète de bureaucratie. Pour trouver un travail il suffisait de se présenter. S'il y avait une opportunité, il pouvait commencer tout de suite. Pas de contrats à signer, de documents à donner ou autre. C'était plus simple. À plusieurs reprises, il empruntait à des amis ou des commerçants. C'était légal. Des épiciers, salons ou des coiffeurs lui prêtaient l'équivalent de plusieurs centaines d'euros d'aujourd'hui. C'est quelque chose d'impensable de nos jours ! Mais c'était astucieusement malin ! Qui est mieux placé que le commerçant du coin pour évaluer la capacité de remboursement de l'emprunteur ? Le commerçant connaît la personne depuis des années, la voit tous les jours et connaît ses capacités à travailler pour rembourser ses dettes.

Jack London n'a jamais arrêté de travailler. Il a continué d'écrire tous les jours jusqu'à la fin de sa vie. C'était un aventurier et jusqu'à sa mort il continuait de faire le tour du monde. Et pour l'époque c'était bien plus compliqué que maintenant, il ne suffisait pas de faire un vol de 12h. Google Maps et Google Traduction n'existaient pas. Un voyage, c'était l'aventure.

L'alcool a fait partie intégrante de sa vie. À petite dose, elle lui a permis de faire les bonnes rencontres et de guider sa carrière. Il est important de noter que l'alcool peut avoir des côtés positifs. À haute dose, elle est nocive. Il a perdu tous ses amis marins à cause de l'alcool : tués, noyés, emprisonnés, etc. L'alcool coûte très cher. Il dépensait tout son salaire au salon. À première vue, c'est du gaspillage, mais c'est aussi ce qui lui a permis de développer sa vie. S'il avait refusé de boire et de dépenser son argent dans l'alcool, sa vie aurait sûrement été bien plus misérable. À contrario, parmi ses collègues, nombreux étaient ceux remplis de rêves après la fortune faite à la chasse aux phoques. Certains voulaient apprendre à danser pour rencontrer des gens respectables, d'autres envoyer leur paie en Europe et rejoindre leur famille sur place. Ils ont tout dilapidé, l'argent dans l'alcool en arrivant au port et ont dû reprendre la mer aussitôt.

Conclusion

J'aime beaucoup lire des biographies, c'est inspirant, cela permet de découvrir une personne en profondeur. Il n'y a pas de magie, les personnes talentueuses ont toujours une vie trépidante, ce sont des personnes actives qui travaillent dur. Personne n'échappe aux épreuves. Ceux qui avancent, ce sont ceux qui les affrontent au lieu de se lamenter. Chacun tire ses propres leçons de la lecture d'une biographie. Mais tout le monde en tirera quelque chose à gagner.