GAFAM et full remote: quand tu atteins le dream job
Publié le 22 mai
Vous l'avez peut-être vu passer : Microsoft va licensier 6000 employés, soit 3% de ses effectifs. Vu de la France, c'est choquant, mais c'est quelque chose de très courant aux États-Unis.
Là-bas, il n'existe pas de CDI. Certes, cela présente l'inconvénient de pouvoir être licencié du jour au lendemain, mais cela a aussi l'avantage de raccourcir considérablement les processus de recrutement. En effet, en cas d'erreur, l'employeur n'est pas contraint de conserver un salarié incompétent qu'il serait difficile de licencier. Cette flexibilité réduit donc la crainte des employeurs à embaucher.
Les entreprises procèdent régulièrement au licenciement des employés les moins productifs, car leur performance inférieure peut tirer l'ensemble de l'équipe vers le bas. Si je constate que je suis déjà plus efficace que mon collègue, tout en étant payé autant que lui, qu'est-ce qui m'inciterait à fournir davantage d'efforts ? En revanche, si ce collègue est licencié, je deviendrai alors le moins performant du groupe, ce qui me poussera à augmenter ma productivité pour éviter d'être à mon tour concerné par la prochaine vague de licenciements. Ce type de pratique est très courant aux États-Unis, où les entreprises n'hésitent pas à remplacer les moins performants par des employés plus compétents.
La routine et baisse de productivité
Un emploi est toujours plus ou moins répétitif — on fait la même chose pendant des années et la routine s'installe.
Regardez les anciens dans vos expériences professionnelles : on a tous connu quelqu'un qui est là depuis plus de vingt ans à faire le même boulot. Il est là, il est toujours à l'heure, il fait le travail demandé — mais il est toujours lent, il ne faut pas le brusquer. Ce n'est jamais l'un des membres les plus productifs de l'équipe.
De la même façon, on a tous déjà vécu le cliché du fonctionnaire : le gars a fait toute sa carrière sur la même chaise, mais il met trois heures à rassembler les documents nécessaires pour renouveler un passeport.
Cette baisse de motivation survient une fois que la routine s'est installée et que l'emploi n'est plus stimulant.
Pour casser cet effondrement de productivité, il faut changer de travail. Un changement d'entreprise s'impose, mais parfois un simple changement d'équipe peut suffire. Cela permet d'apprendre de nouvelles choses, d'être stimulé et de mettre en avant les compétences acquises précédemment — entraînant souvent une hausse de salaire appréciable
C'est humain, c'est normal d'agir de cette façon, nos ancêtres ne passaient pas 8h par jour, 47 semaines par an à faire les mêmes tâches. Parfois il fallait chasser, parfois il fallait passer des journées entières dans les champs à semer ou à récolter au rythme des saisons, d'autres fois, il s'agissait de construire ou de réparer des abris et des outils. Et parfois, lorsque les besoins essentiels étaient comblés et que la nature le permettait, il n'y avait tout simplement rien d'urgent à faire, et la journée pouvait être consacrée au repos, à la communauté ou à la simple contemplation. L'être humain est fondamentalement adapté à cette diversité d'activités et de rythmes, bien plus qu'à la répétition inlassable d'une unique tâche jour après jour.
Le problème des GAFAM
Travailler pour un GAFAM, c'est atteindre le sommet de sa carrière : difficile d'espérer mieux. On y bénéficie d'un emploi stable, d'une sécurité professionnelle remarquable, d'un salaire exceptionnellement élevé, de conditions de travail idéales, de stock-options attractives, ainsi que de nombreux autres avantages.
Aucune autre entreprise n'assure des conditions aussi attractives.
Une fois chez un GAFAM, les employés ne bougent plus — fini l'époque où l'on sautait de job en job tous les deux ans. Alors, petit à petit, on se lasse et la productivité baisse.
C'est un cercle vicieux : plus personne ne veut quitter l'entreprise, car il ne trouvera mieux nulle part ailleurs. L'entreprise se voit donc obligée de recruter de nouveaux profils motivés pour compenser cette perte de productivité. Pour attirer les meilleurs talents au monde, elle doit continuer à proposer les meilleurs salaires et conditions de travail.
Les autres entreprises "normales" n'ont pas ce problème. Lorsqu'un employé commence à se lasser, il va de lui-même chercher une autre entreprise, espérant ainsi gagner 4k supplémentaires sur son salaire annuel. Il retrouve alors de la motivation, au moins pour un certain temps, dans son nouveau poste. Pendant ce temps, l'entreprise initiale dispose d'un poste vacant et peut recruter un nouvel employé, souvent plus motivé que celui qui est parti.
After 18 years at Microsoft, with roughly a decade of that time working on TypeScript, I have unfortunately been let go in the latest round of layoffs. I need to take a few days to process before I start looking for work. Thanks to everyone who's been part of my journey so far.
— Ron Buckton (@rbuckton) May 13, 2025
Ce gars a travaillé chez Microsoft pendant 18 ans et sur TypeScript qui est un énorme succès. Pourquoi a-t-il été licencié ? Je suis persuadé qu'après 18 années chez Microsoft, il avait sans doute sa routine et n'accomplissait plus grand-chose de ses journées — au point que cette productivité "normale" était devenue sa référence. Quand le réel arrive après, ça fait mal.
De plus, plus notre carrière progresse, plus on se spécialise dans un domaine pour obtenir une meilleure rémunération. On peut bien sûr changer de voie, mais il devient alors difficile de justifier un salaire élevé si l'on repart de zéro.
Dans l'exemple précédent, quand on est l'un des meilleurs experts TypeScript au monde, à part chez Microsoft, il n'y a guère d'autres options. Alors on reste confortablement à son poste, les années passent, la lassitude s'installe, et on se retrouve dix-huit ans plus tard avec seulement 20% de la productivité que l'on avait à son arrivée.
Le problème du full remote
Le full remote, c'est souvent perçu comme le Graal du monde professionnel, et pour cause ! Travailler de chez soi, c'est la promesse de salaires attractifs, souvent alignés sur ceux des grandes entreprises tech, sans avoir à supporter les contraintes d'un bureau. Tu gagnes du temps libre en éliminant les trajets quotidiens, ce qui te laisse plus de moments pour toi, ta famille ou tes passions. Cette flexibilité, couplée à des conditions de travail confortables et à des rémunérations élevées, fait du full remote un rêve pour beaucoup.
Le full remote fait gagner à minima 15 heures de temps libre par semaine, que ce soit à Paris, avec une heure de métro pour aller au bureau, ou en province, où l'on peut passer une heure dans les bouchons pour arriver au travail ; cela représente, aller-retour, environ 10 heures gagnées par semaine. Et ce, sans compter l'essence économisée ou l'usure de la voiture.
À cela s'ajoutent les "petites fraudes" que tout le monde pratique : étendre le linge sur ses horaires de travail, passer rapidement à la Poste récupérer un colis, se brosser les dents, passer un petit coup d'aspirateur, aller chercher le pain à la boulangerie, faire la vaisselle… On arrive ainsi facilement à 15 heures de temps gagné par semaine.
Comme pour les GAFAM, une fois en full remote, un employé ne peut guère espérer mieux, d'autant plus que le full remote est devenu très rare. Alors il reste à son poste et, comme pour l'employé chez Microsoft, la productivité baisse petit à petit.
La petite fraude s'amplifie : le brossage de dents sur les horaires de travail devient une douche complète, le passage éclair à la boulangerie se transforme en courses à Carrefour, la petite pause YouTube de l'après-midi devient un épisode entier de Netflix, et le rapide passage de l'aspirateur se change en tonte de la pelouse.
Parfois, il y a des temps morts au travail ; ce n'est donc pas vraiment "frauder", on profite simplement de ce temps pour ne pas le gaspiller. Mais ces temps libres exceptionnels deviennent vite des habitudes.
Lors d'une semaine calme, on en profite pour faire ces petites fraudes (chercher le pain, se brosser les dents, etc.). Mais la semaine suivante est mouvementée — et c'était quand même bien cool d'avoir du temps libre pour ces petites activités — alors on travaille moins, tant pis pour le travail — il faut absolument étendre la lessive terminée.
La productivité s'effondre.
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Toutes ces petites fraudes (et plus grosses) restent relativement légères. Certains en profitent carrément pour passer une après-midi à jouer aux jeux vidéo ou à s'occuper de leurs enfants, d'autres ne répondent pas aux messages sous prétexte qu'ils sont "concentrés sur une tâche".
Certains employés finissent par ne plus rien faire du tout.
C'est un cercle vicieux : les employés restent en poste, convaincus qu'aucune autre entreprise n'offre de meilleures conditions, ce qui entraîne une baisse de la productivité des équipes. En réponse, certaines entreprises réduisent le télétravail, rendant le full remote plus rare. Cela pousse les chanceux qui en bénéficient à s'accrocher à leur emploi, craignant de ne jamais retrouver d'aussi bonnes conditions ailleurs.
Le job normal
Les jobs normaux n'ont pas ce problème : tu travailles, tu gagnes en compétences, puis tu finis par te lasser.
Alors tu cherches un nouveau boulot où tu pourras utiliser tes compétences acquises et espérer une meilleure rémunération. Tu gagnes de nouveau en compétences et, de job en job, tu progresses dans ta carrière.
Ceux qui sont meilleurs progressent plus vite et changent de travail plus souvent. Inversement, ceux qui sont moins bons progressent plus lentement et changent moins régulièrement de travail.
Progresser vite, c'est aussi dangereux : on atteint plus rapidement le palier où l'on se retrouve bloqué, ce qui entraîne un risque de bore-out, de déprime, ou de tout plaquer sur un coup de tête.
Les solutions
Pour garder le moral, certains se mettent à pratiquer un sport de manière intense. On a tous eu un collègue qui s'absente longtemps sur sa pause midi pour aller faire sa séance de sport en vue de préparer une compétition. C'est une bonne solution pour penser à autre chose, mais cela ne résout pas le problème initial : on continue à se lasser dans notre travail. En plus, cela peut avoir un effet néfaste : l'employé arrive en retard le matin parce qu'il doit faire sa séance, il est moins concentré au travail, etc. Bref, son travail devient encore moins une priorité.
Une autre solution serait de développer un hobby ou un projet personnel. Mais c'est le même problème : cela ne résout pas la baisse de moral au travail. Et plus on se lance dans un projet personnel, plus il va empiéter sur notre vie professionnelle et avoir une influence néfaste dessus. On aura tendance à prendre du temps professionnel pour accomplir des tâches liées à notre projet personnel.
La vie est faite de variance
How Domesticated Are We Going To Be?
— LindyMan (@PaulSkallas) July 18, 2024
Where Does This All End?https://t.co/o4ltSY4Sgi
LindyMan a une excellente théorie sur la variance dans la vie. Il soutient que la vie était beaucoup plus variée avant que de nos jours. Le métro-boulot-dodo n'était pas la norme il y a 100 ans.
Joseph Conrad: pic.twitter.com/kYIJFTBCuN
— Nacho Oliveras (@NachoOliveras) January 15, 2025
L'humain n'est pas fait pour faire la même chose huit heures par jour pendant vingt ans. Nous ne sommes pas épanouis de cette façon — nous avons besoin de variété dans la vie, de défis.
Nos ancêtres ne se comportaient pas ainsi. Nous ne pouvons pas passer nos journées à chasser du gibier ou à labourer un champ à la main — il faut trouver d'autres moyens de reproduire ce comportement.
Peut-être devrait-on tout plaquer et exercer un autre métier. On perd alors les avantages accumulés ; ce n'est ni raisonnable ni rentable, mais l'humain est, après tout, fait pour cela. Peut-être serions-nous beaucoup plus épanouis ? N'est-ce pas cela, la vie ?
J'ai souvenir d'avoir lu de la part de Jujimufu un excellent article sur la polivalence.
Il stipulait qu'il était quasi impossible d'être dans le top 1% dans un domaine, mais beaucoup plus facile d'être dans le top 10% ou 20% dans deux ou trois domaines simultanément.
En tant que développeur, être embauché par Google relève quasiment de Mission Impossible. En revanche, il est beaucoup plus accessible d'être dans le top 20% des meilleurs développeurs, avec un bon travail à la clé, et, en parallèle, d'être dans le top 20 % des DJ et de mixer dans les grandes boîtes locales le week-end.
Le salaire global des deux jobs cumulés sera sûrement plus faible que celui d'un poste chez Google. Mais on sera sans doute plus épanoui qu'une personne en full remote qui n'accomplit plus rien de ses journées.
Surtout, on devient plus résilient face aux aléas de la vie.
Si, par exemple, on perd son job de développeur, on ne se retrouvera pas sans emploi ni revenu. On pourra même profiter de ce nouveau temps libre pour travailler davantage en tant que DJ les mercredis et jeudis soirs, afin de gagner plus d'argent.
Un exemple concret
Mon cousin est ostéopathe de métier et exerce trois jours par semaine. Le reste du temps, il donne des cours d'ostéopathie ou retape des maisons et des voitures.
Gagnerait-il plus s'il était ostéopathe à plein temps ? Sûrement, et il aurait même beaucoup moins d'ennuis à gérer. Mais exercer un métier à plein temps devient lassant et moins épanouissant.
Parfois, il y a moins de patients pendant les vacances. Il profite alors de ce temps libre pour retaper des voitures et les vendre. Il gagne moins d'argent grâce à son métier d'ostéopathe, mais plus grâce aux travaux réalisés.
S'il ne faisait pas cela, il subirait une plus grosse perte de revenus et un plus grand sentiment d'échec dans sa vie. Inversement, parfois il y a beaucoup plus de demandes, et il travaille plus longtemps — les travaux attendront.
Avoir plusieurs sources de revenus peut paraître contre-productif, car on gagnerait plus à être spécialisé dans un seul domaine. Mais cela a pour avantage qu'en cas d'imprévu dans le métier initial, on ne se retrouve pas sans compétences ni revenus.
Conclusion
L'être humain n'est pas fait pour faire la même chose en permanence. Il faut introduire de la variété dans nos vies. Rester au même endroit tout au long de son parcours, c'est mourir à petit feu. La vie est bien trop riche pour se contenter de cette option. Il faut chercher de nouvelles options de se développer — c'est ici que l'on trouvera notre bonheur.