Sans enfant, sans loisirs
Publié le 4 décembre 2025
J'ai eu une discussion récemment avec une personne dans la trentaine, en couple et sans enfants, qui cherchait de nouveaux loisirs à pratiquer. Comme beaucoup de trentenaires, il a une situation stable : des revenus réguliers et une maison. Nous avons longuement échangé sur les possibilités qui s'offraient à lui.
C'est une thématique que je connais bien. Vivant seul, je me suis souvent posé ces mêmes questions sur ce qu'il est possible de faire de son temps libre.
L'abondance du temps libre
Quand on ne veut pas d'enfant, on dispose d'énormément de temps libre. En théorie, cela devrait permettre de tester et de s'investir dans de multiples activités. Mais la réalité est plus complexe.
Nous avons passé en revue plusieurs loisirs, et pour chacun d'eux, les contraintes se sont rapidement révélées :
Le VTT descente paraît formidable au premier regard, mais les obstacles s'accumulent. L'équipement coûte une fortune, et se pose la question pratique : comment monter en haut ? Pousser son vélo sur des kilomètres de dénivelé n'a rien d'amusant. Plus problématique encore, les chutes à 25 km/h sur des cailloux deviennent dangereuses avec l'âge. À 40 ans, une épaule démise, un genou cassé et deux côtes fêlées peuvent vous immobiliser pendant un an. Impossible de travailler, risque de dépression, prise de poids... C'est un sport pour les jeunes, à 20 ans on récupère vite et les conséquences d'une blessure sont moins lourdes.
Le canoë semble plus accessible, mais n'est praticable qu'au printemps quand le débit des rivières le permet. L'hiver c'est impossible, l'automne c'est ennuyeux faute d'eau. Et puis se pose le même problème logistique que pour le VTT : on dépose sa voiture à un endroit, on descend le courant pendant des kilomètres... comment récupérer le véhicule ? Les contraintes s'accumulent.
Les voyages représentent une passion commune à beaucoup d'entre nous. Mais après vingt ans de voyages réguliers, on finit par faire le tour. Quand on a visité toute l'Europe et les destinations lointaines qui nous intéressaient, que reste-t-il ? Retourner à Rome ou Barcelone tous les deux ans n'apporte plus rien. Même les road trips en Thaïlande, en Indonésie ou aux Philippines finissent par se ressembler.
La moto attire par sa liberté apparente, mais les contraintes sont nombreuses : le froid, la nuit, la pluie dangereuse, la chaleur estivale, l'impossibilité de transporter des affaires. Une fois qu'on a fait quelques balades autour de chez soi, l'ennui s'installe. C'est le destin de la plupart des motards : permis, achat, puis revente dans les cinq ans car finalement, ça ne sert à rien.
Le pilotage d'avion (PPL) pose exactement le même problème. Apprendre à piloter est passionnant, voler procure des sensations uniques. Mais ensuite ? On va à l'aérodrome, on décolle, on fait une balade de deux heures, on revient. Difficile de reproduire cela chaque week-end sans lassitude.
La musique m'est familière, ayant pratiqué la basse pendant plus de dix ans. Au bout d'un moment, on sait jouer tout ce qu'on veut. Et contrairement aux idées reçues, la "bonne" musique n'est pas forcément la plus difficile techniquement. Jouer en groupe devient un défi logistique : trouver des personnes de son âge, du même niveau, avec les mêmes disponibilités, qui s'entendent bien et jouent des instruments complémentaires. Dans la vie adulte, c'est quasi impossible. Sans compter le regard social : à 25 ans, jouer dans un groupe c'est cool ; à 40 ans, on passe pour un éternel ado qui refuse de grandir.
Le parapente souffre des mêmes contraintes logistiques que le canoë et le VTT : on monte en voiture en haut de la montagne, on saute... mais comment récupérer le véhicule ? Il faut aussi passer une licence, ce qui demande plusieurs semaines de formation. Il faut vraiment adorer cette activité pour y consacrer autant de temps.
L'expérience des correspondances
Cette problématique des loisirs éphémères, je l'ai vécue concrètement il y a plus de six mois. Je me suis inscrit sur Global Pen Friends pour trouver des correspondants dans le monde entier. L'expérience était formidable au début : j'échangeais avec sept personnes, nous nous écrivions régulièrement sur des sujets variés. Au fil des lettres, nous apprenions à nous connaître et les discussions devenaient de plus en plus riches.
Mais écrire prend un temps considérable. Comme pour rédiger cet article, il faut réfléchir au contenu de chaque lettre. L'écriture manuscrite est lente, puis il faut mettre en enveloppe, noter l'adresse, aller poster, faire la queue à La Poste qui n'est jamais ouverte aux bonnes heures, payer l'envoi... Le processus complet prend minimum deux heures, souvent quatre pour mes lettres de plusieurs pages.
Quand on reçoit deux lettres le même jour et une autre deux jours plus tard, cela représente huit heures de travail d'un coup, puis quatre heures supplémentaires. La pression s'accumule car il ne faut pas traîner : le courrier met du temps à traverser les océans, et l'autre personne met elle aussi du temps à répondre. Si elle est très occupée ou très loin, les délais s'allongent encore.
Tous mes correspondants, comme moi, s'étaient inscrits sur le site pour découvrir cette activité. Ils avaient du temps libre et l'envie de faire quelque chose de nouveau. Cela a duré six mois. Puis, comme dans toute vie adulte, des aléas sont survenus. Le temps libre s'est réduit, l'été est arrivé, et la première chose qui a sauté, ce sont les correspondances. En l'espace de deux mois, tous ont arrêté de me répondre.
C'étaient pourtant tous, comme moi, des hommes adultes sans enfants avec beaucoup de temps libre. Mais quand quelque chose bouge dans leur vie, ils n'ont plus le temps. Six mois d'échanges pour construire des relations, pour au final plus rien.
C'est la réalité de la vie adulte : on fait des choses éphémères qui ne servent plus quelques mois ou années plus tard. Jamais sur le long terme.
La réalité des loisirs adultes
Une fois adulte, les activités réellement praticables sont limitées. En sport, il reste : la course à pied, le crossfit, l'escalade. Tout le reste devient impraticable. Même le futsal pose des problèmes : trouver une équipe stable avec suffisamment de joueurs du même niveau et des disponibilités compatibles relève de l'exploit.
Parmi les autres loisirs, la lecture reste accessible : on achète les livres que l'on désire, ça ne coûte pas cher, on lit quand on a le temps. Côté créatif, il reste tout ce qui se fait au crayon : écrire (comme ce que je fais actuellement sur ce blog), dessiner, peindre, sculpter. On peut ajouter le petit bricolage et le jardinage.
Mais voilà le problème : quand on a 35 ans, pas d'enfant, de l'argent et peu de sens à sa vie, faire sa séance d'escalade deux fois par semaine et son footing le week-end, ça va deux minutes. Après dix ans de lecture régulière, on ne sait plus quoi lire d'intéressant. Ce n'est pas dit que j'aurais toujours des sujets intéressants à écrire sur ce blog dans 5 ans.
Il reste à voir des amis, mais comme pour mon expérience avec les correspondances, les amis se perdent avec le temps. Chacun a sa vie, et souvent ils ont des enfants. Ils ont alors beaucoup moins de temps disponible, mais plus de sens à leur existence. Un footing le dimanche et un peu de bricolage leur conviennent parfaitement.
Si on a de la chance, on peut passer deux soirées par semaine avec des amis. C'est énorme à l'âge adulte, mais cela reste dérisoire : il reste cinq autres soirées, les week-ends, et cinq semaines de congés par an à occuper.
L'impasse temporelle
Quand on est jeune et qu'on démarre dans la vie active, il est normal de raisonner ainsi. On a envie de découvrir plein d'activités. Mais plus le temps passe, plus on refuse de passer à l'étape suivante — fonder une famille — et plus l'ennui se propage. À 25 ans c'est passionnant, à 30 ans on commence à chercher des activités, à 35 ans ça devient problématique. Mais à 45 ans, que fait-on ? Je l'ignore, je n'ai que 32 ans. Mais c'est une question que l'on doit tous se poser. Si je continue dans cette situation, est-ce que je me vois ainsi dans dix ans ? Est-ce que je serai satisfait ?
I am far from lonely. Living on your own terms means you have company exactly when and where you want it.
— Jon Yongfook (@yongfook) August 7, 2025
But perhaps I lack a greater life purpose, and that means my soul is unfulfilled. That I would agree with.
Ce tweet saisit précisément l'essence du problème. Il ne s'agit pas forcément de solitude — on peut maîtriser ses relations sociales, choisir quand et avec qui passer du temps. Le vrai défi, c'est l'absence de but supérieur, de projet qui transcende notre petite existence individuelle.
Cette observation rejoint d'ailleurs une tendance plus large observée depuis les années 1970 :
Even if women are net beneficiaries in financial terms, the situation is not good for anyone. Since the 1970s, women's life satisfaction has declined faster than men's. There's no future without kids. Being a parent is one of the best things in life.
— Martti Malmi (@marttimalmi) January 28, 2025
Les données semblent confirmer ce ressenti : malgré les gains en indépendance financière et en liberté de choix, la satisfaction de vivre diminue. C'est un paradoxe troublant de notre époque moderne.
La vérité difficile à admettre, c'est qu'il n'y a pas de futur sans enfant. On peut désirer ne pas en vouloir, c'est un choix respectable. Mais il faut accepter d'avoir une vie vidée de sens et remplie d'ennui. À 50 ans, ce sera vivre dans le désespoir après avoir passé 30 ans à pratiquer divers loisirs.
Cette réflexion ne vise pas à culpabiliser ceux qui font le choix de ne pas avoir d'enfants, mais à mettre en lumière une réalité souvent occultée : le temps libre en abondance ne garantit pas le bonheur. Sans projet qui nous dépasse, sans responsabilités qui donnent du sens à nos actions, même les plus beaux loisirs finissent par perdre leur saveur.